L’entrée du jardin des Tuileries semblait encore beaucoup trop loin pour que Lina arrive à l’heure au rendez-vous qu’elle avait avec son amie Estelle. Heureusement, ce vendredi matin en s’habillant, elle avait opté pour une tenue classique mais agrémentée de petites tennis noires tendance. Ainsi, elle pressa le pas sans difficulté, impatiente d’arriver. Les passants semblaient marcher au ralenti à présent.

La veille, Estelle lui avait laissé un message énigmatique « J’ai un truc à te dire ! » et lui avait proposé de se retrouver en fin d’après-midi. Lorsqu’elle franchit enfin la grille du Jardin, elle se dirigea directement vers leur point de chute habituel, le bassin. Estelle était une ancienne collègue devenue une amie avec qui elle pouvait passer des heures à discuter de la vie, de leurs peines, de leurs joies, de leurs projets… Elles se comprenaient et s’alimentaient mutuellement. Leurs échanges étaient quasi quotidiens. Elles trouvaient toujours quelques minutes pour se faire signe, plaisanter par sms ou envoyer la photo d’une robe ou d’une coupe de cheveux accompagnée d’un « Qu’est ce t’en penses ? ».

Estelle avait trente-six ans et était plus jeune qu’elle de deux ans. Elle vivait seule depuis quelques mois, retrouvant peu à peu un équilibre qu’elle avait perdu suite à une rupture plutôt brutale. Son travail, son petit appartement et son cercle d’amis semblaient la combler.

Lina aperçut Estelle, assise tranquillement sur un des fameux fauteuils verts, le regard au loin vers la grande roue de la Place de la Concorde. Elle tourna la tête en sentant Lina s’approcher. Malgré le retard de son amie, Estelle bondit et l’embrassa enthousiaste en l’invitant directement à s’assoir pour lui livrer le fameux « truc ». Les banalités « ça va ? » et autre confirmation de rendez-vous avaient déjà été évacuées par sms depuis le matin. Elles s’installèrent l’une à côté de l’autre.
Estelle inspira profondément avant de se livrer. Elle semblait chercher à se concentrer et soucieuse de ne négliger aucun détail important. Lina ne savait pas à quoi s’attendre mais au regard de l’attitude de son amie, le « truc » n’apparaissait pas comme dramatique. Au contraire.

Estelle s’élança en contextualisant son récit : la ligne 8 qu’elle empruntait chaque jour de Reuilly-Diderot à Commerce, l’heure précise à laquelle elle posait chaque matin son pied sur le quai (8h05) et l’habitude qu’elle avait de lire ou de surfer sur son smartphone durant son trajet. Lina acquiesça simplement, parfaitement consciente des us et coutumes de son amie.

Estelle poursuivit après avoir validé dans le regard de Lina qu’elles étaient bien en phase. En effet, mardi matin, une fois installée dans la rame, elle avait senti un léger mal de tête arriver, la dissuadant d’entamer ses activités ordinaires. Elle procéda alors à quelques respirations profondes, histoire de se relâcher et d’atténuer son inconfort. Le wagon n’était pas bondé mais les entrées et sorties des usagers de la ligne, lui donnaient un peu le tournis. Elle colla sa tête contre la vitre et se laissa rêvasser pour repousser au maximum le développement de la douleur.

Elle ferma ses yeux par intermittence et c’est pour cette raison qu’elle n’aperçut pas tout de suite l’homme qui pénétra dans la rame. Pourtant, lorsqu’elle rouvrit ses yeux, il était debout un peu plus loin, immanquable parce que très grand. Il portait un long manteau cintré couleur camel et un chapeau marron foncé. Son élégance se remarquait d’emblée. Il se tenait droit. Digne. Elle ne voyait pas son visage mais plutôt son profil car il était légèrement tourné. Son regard semblait plongé dans le téléphone qu’il tenait à la main. Il devait avoir la cinquantaine. Elle l’observa vaguement et replongea dans le noir de ses paupières soignantes.

Estelle en finit là pour ce qu’elle jugea être une sorte de premier épisode à son histoire. Lina ne s’en contenta pas et exigea la suite à coups de « Et donc ? C’est tout ??? ».

Lina se retrouvait à la place de son fils de 4 ans lorsque le soir, elle ou son mari lui lisait des histoires en soignant leur intonation et en exagérant les mouvements de leurs visages. Pour une fois, c’est à elle qu’on racontait l’histoire dont elle attendait la suite avec impatience.

Estelle, amusée, reprit son fil. Elle partit dans la même description pour le jour suivant, le mercredi. Même heure, même ligne, même métro, même siège ou presque. Mais sans migraine cette fois, ce qui lui permis d’ouvrir le livre de poche maltraité dans son sac. Elle se plongea dans la lecture.
Elle parcourut quelques pages puis leva la tête pour vérifier où elle était rendue. C’est alors qu’elle aperçut l’homme au chapeau. Il était dans la même position que la veille. Penché sur son téléphone, l’air absorbé. Elle eut du mal à regarder ailleurs que vers cet homme. Elle reprit quelques lignes de son livre puis de nouveau observa les faits et gestes du mystérieux passager. Lui ne pouvait pas la voir et d’ailleurs, il semblait tellement accaparé qu’il n’y avait aucun risque.

Lina ouvrit son sac, rompant un peu le rythme du récit. Elle saisit une bouteille d’eau et but quelques gorgées. Estelle l’interrogea du regard en désignant du menton la bouteille, et à son tour, se désaltéra telle une conférencière rodée.

Estelle s’assura que Lina était de nouveau totalement à l’écoute et continua là où elle avait dû s’arrêter.
En effet, en observant l’homme, ce mercredi, elle remarqua qu’il bougeait légèrement son corps d’avant en arrière, de droite à gauche, mais de quelques millimètres seulement. Ces petits mouvements pouvaient rester imperceptibles sans une réelle attention. Il ne perdait jamais l’équilibre car son corps tonique enveloppait chaque impulsion. Elle fronça les sourcils, interrogative. Mais resta sans réponse. La lenteur et l’harmonie du corps de l’homme au chapeau accompagnaient tranquillement le timide sourire qui se dessinait sur son visage de profil. Visiblement, ce que son téléphone lui renvoyait, le rendait content, amusé ou joyeux. Jusque dans son corps, si discrètement bercé.
A force d’observation, Estelle remarqua que la tête chapeautée de l’homme bougeait elle aussi, très légèrement. Alors que, les yeux fixés au sol, elle cherchait une explication à ce comportement étonnant, l’homme descendit de la rame sans qu’elle s’en aperçoive.

Lina fit une moue frustrée. Elle était visiblement captivée par le récit dont le dénouement se faisait trop attendre. Estelle jouait de l’impatience de son amie et commençait à croire qu’elle avait des talents de conteuse !

Dans un large sourire, elle rassura Lina en lui lâchant « attend la suite, ce n’est pas fini ! T’as pas tout entendu…».

Lina ne voyant pas où Estelle voulait en venir et passant d’une hypothèse à l’autre, demanda en lui coupant l’herbe sous le pied, si elle avait été attirée par cet homme ou si elle avait flashé sur lui !
Son amie parut surprise alors, elle précisa sereinement : «ben non, même pas ».

Lina, dubitative, décida de lâcher-prise sur une quelconque explication en laissant Estelle finir.

Cette dernière reprit au jeudi matin cette fois. Un peu comme dans Un jour sans fin, elle entama la description de son quotidien matinal quand Lina la coupa sur un ton pressé :

– Oui je sais, le métro, la rame, les gens, les stations, patati patata !! Et après ?

Estelle révéla combien elle était intriguée par cet homme au comportement un peu étrange. Elle y avait d’ailleurs repensé à plusieurs reprises au cours de sa journée. Arrivée au jeudi matin, si l’homme se trouvait dans sa rame de nouveau, elle activerait la stratégie qu’elle avait élaborée au cours de son insomnie.

Ce fut le cas. L’homme monta à République et prit la même contenance que les deux matins précédents. Une main agrippant la barre du métro et l’autre maintenant un téléphone. Très rapidement, Estelle constata que l’homme reproduit ses mimiques discrètes. Son corps tanguait comme sous l’effet d’une douce petite brise. Ses pieds ancrés au sol, il s’animait délicatement.

Ni une ni deux, elle se leva et s’approcha. Il fallait activer la stratégie ! Mais allait-elle oser ? Pourrait-elle assumer sa curiosité ? Et que pense un homme lorsqu’une femme l’aborde comme ça dans le métro parisien ? Elle eut peur tout à coup. Elle s’immobilisa. Elle réfléchit en quelques secondes, interrogeant ses ressentis et les conséquences de ses actes.

Mais elle s’engagea en se faufilant entre les usagers et vient se positionner suffisamment près de l’homme pour pouvoir jeter un coup d’œil à son téléphone sans être cependant, repérée. Telle une girafe en filature, elle étira son cou au maximum et lorgna sur le smartphone de l’homme au chapeau.

Quand elle réalisa ce qu’il visionnait avec tant de concentration et de contentement, elle sourit en relâchant sa nuque endolorie. Elle venait de comprendre… De tout comprendre.
Elle observa la globalité de la situation avec délectation : l’homme, son intime sourire, son balancement discret, la familiarité de sa posture élégante… Elle fut alors remplie d’une sensation de douceur et d’excitation à la fois. A voir les autres passagers jouer à Candy Crush ou à lire Le Parisien, elle estimait que l’homme au chapeau composait un univers à lui seul. Un univers unique et singulier dans lequel il se plongeait chaque matin et peut-être à bien d’autres moments de la journée…
Elle mit quelques minutes à sentir qu’elle ne se contenterait pas de cette découverte, trop originale pour ne pas s’y pencher ! Elle voulait en savoir bien plus. L’homme avait piqué sa curiosité.

Elle l’envisageait comme une sorte de personnage intriguant, impliqué dans un fait divers ou comme le héros d’un roman. Elle le voyait déjà dans une saga trans-générationnelle en trois tomes… Il était inspirant pour qui aimait créer à partir d’un détail ou d’un fait.

La porte automatique s’ouvrit brusquement ramenant immédiatement Estelle à la réalité. Un groupe de gens dont l’homme faisait partie descendit. Elle ne réfléchit pas et sauta du métro aussi. Elle se mit à suivre le chapeau sombre sans savoir si c’était une si bonne idée que ça. Ses yeux ne quittaient plus la silhouette qui marchait d’un pas décidé mais heureusement peu rapide comparé aux autres gens pressés. Après quelques détours dans les couloirs, les escaliers apparurent. Elle emboita le pas derrière l’homme tout en réalisant lorsqu’elle se retrouva à l’extérieur qu’elle était face à l’Opéra.

Lina lâcha un « Wouahhh… » rêveur tout en fixant la grande roue en face. Estelle avala sa salive comme pour s’octroyer une pause et reprit car c’est à ce moment précis, qu’elle décida d’approcher de l’homme en vue de lui parler.

Lina ouvrit grand ses yeux ! « Ah carrément ! Et pour lui dire quoi ? Je vous ai vu tanguer, ça m’intéresse ! Ou bien, j’adore votre ondulation corporelle ? ».

Estelle s’amusa de la réaction de Lina qui ignorait tout de ce qui allait se passer. Elle lui demanda si elle souhaitait entendre la suite. Lina exclama « Ben évidemment ! ».

Alors Estelle décrit comment elle marcha à hauteur de l’homme pour lui toucher l’épaule.
Ce geste fit pivoter sa grande carrure camel face à elle. L’homme la regarda, l’air étonné, les sourcils remontés. Avait-elle besoin d’un renseignement ? Avait-il laissé tomber quelque chose par terre ? Elle ne voulut pas qu’il pense qu’elle le fixait mais elle eut le temps d’observer son visage serein. Il avait de grands yeux foncés, des rides de sourire autour des yeux et de la bouche et il respirait tranquillement.
Estelle commença par s’excuser de l’importuner ce qui déclencha un large sourire sur la bouche de l’homme. Elle se lança :

– Écoutez… voilà… Ça va vous sembler un peu fou mais… Cela fait trois matins que je vous aperçois dans le métro. Nous prenons la même ligne aux mêmes horaires ! Oui c’est incroyable, surtout ici à Paris mais…

L’homme l’écoutait calmement, disponible à cette jeune femme qui semblait impressionnée mais prenait sur elle.

– J’ai remarqué que vous étiez à chaque fois totalement captivé par votre téléphone et surtout (elle hésita)… que vous faisiez des petits mouvements de balancement avec votre corps…

L’homme ne bougeait pas.

– Alors ce matin, je me suis rapprochée de vous dans la rame et j’ai voulu voir ce qui vous passionnait à ce point. Et j’ai vu ce que vous regardiez !

Tout en souriant, l’homme baissa la tête comme pour regarder ses pieds. Estelle prit ce sourire comme une autorisation à poursuivre cet échange sans doute un peu maladroit et inattendu.

– J’ai vu la grâce, j’ai vu la beauté, j’ai senti le tempo, j’ai suivi chaque pas, j’ai entendu la musique moi aussi.

Elle s’interrompit comme à bout de souffle. Elle marqua une pause avant de poser la question qu’elle avait préparée et retournée dans sa tête de nombreuses fois :

– Pardon si je suis indiscrète… mais… je me demandais… pourquoi regardez-vous ces vidéos de couples de professionnels en train de danser le tango ?

Elle interrogea l’homme de son regard, espérant qu’il ne juge pas sa demande trop intime et qu’il accepte d’y répondre. L’attente lui parut interminable et elle estima qu’elle l’avait sans doute dérangé ou qu’il faisait erreur sur le pourquoi de cette approche. Elle allait devoir se justifier.

L’homme se redressa, le visage toujours apaisé. Il inspira profondément et dit :

– Vous souhaitez que je vous réponde, franchement et sincèrement ?

Estelle fit oui de la tête et adoucit son expression. Elle comprit que l’homme était disposé à lui fournir l’authentique explication. Elle le fixa pour lui montrer son intérêt et l’encourager à parler.

Il sembla chercher par où commencer puis entama de la façon suivante :

– La vidéo que je regardais ce matin et les autres matins… montre un couple de professionnels en train de danser le tango. Cette vidéo remonte à une dizaine d’années maintenant. Elle est le témoignage d’un moment parfait selon moi. Un mélange de sensualité et de nostalgie…

L’homme parut ému tout à coup mais garda le rythme de son récit.

– La danseuse s’appelait Sonia Vong… Elle avait 31 ans à l’époque. Elle était… merveilleuse. Elle et son partenaire avaient gagné de nombreux prix. Ils étaient de proches amis et travaillaient beaucoup.

Estelle garda le silence, entrant peu à peu dans la bulle que l’homme au chapeau dessinait.  Une bulle empreinte de souvenirs, d’images et de sensations.

– Elle et moi…

Il hésita.

– Nous avons été amants durant quatre ans. Des amants cachés. Des amants interdits.

Il s’interrompit de nouveau. Comme pour supporter son émotion à s’entendre dire ces mots. Il regarda Estelle tendrement et lâcha :

– Un jour Sonia s’est blessée lors d’un concours international. A la suite de cet accident, elle a été opérée plusieurs fois, elle a été soignée… mais elle n’a pas pu reprendre la danse. Son corps a dit stop.
Elle a été obligée d’arrêter de danser… Les galas, les concours, les entrainements, les prix,… tout ça c’était fini.
Elle s’est alors effondrée… Elle souffrait physiquement et elle n’a pas supporté ce qui lui arrivait…

Estelle sentit sa gorge se serrer, touchée par le destin de cette femme inconnue. L’homme semblait proche et distant à la fois de l’histoire qu’il narrait. Comme quelque chose qu’il avait intégré naturellement mais qui ravivait systématiquement de vives émotions dès son évocation… Il poursuivit :

– J’ai essayé de faire tout ce que je pouvais pour attirer son attention vers la lumière, la joie, l’amour que nous partagions… mais rien n’a marché. Elle s’est donné la mort un soir au printemps suivant.

L’homme regarda le sol, comme résigné. Son sourire avait disparu tout à coup, laissant place à un visage grave. Quelques instants plus tard, il releva sa tête et précisa :

– Depuis ce jour, je me sens comme… amputé. Vous comprenez ?

Estelle qui ne s’attendait pas à être consultée, recula machinalement d’un pas en arrière. Elle se sentit obligée de répondre mais elle prit son temps, dans le plus grand respect de la confidence qu’elle venait de recevoir. Sa voix se fit enveloppante.

– C’est pour cette raison que vous regardez ces vidéos ? Pour la retrouver ?

– Oui, c’est pour ça. Pour ne pas qu’elle s’efface…

Lentement il ajouta :

– J’ai tellement de souvenirs… Nous étions fous l’un de l’autre. Dès que nous le pouvions nous nous retrouvions. Elle et son partenaire participaient à de nombreuses manifestations ou concours. J’ai assisté à presque tous ces moments. Je les rejoignais discrètement. Je les suivais comme un chat…

Ils entraient sur la piste. Tout était sous contrôle. Leur posture, leurs regards, leur souffle. Ils s’installaient langoureusement dans une pose figée puis, aux premières notes, leurs corps enlacés, s’affrontaient magnifiquement. Les jambes de Sonia se tendaient puis s’élançaient en décrivant des ellipses. Sa tête souplement tournait comme ses hanches fines en mille ondulations. Elle accompagnait chaque impulsion de son corps tonique avec une féminité intense et fragile à la fois… Elle se livrait aux douces saccades de son partenaire avec une énergie folle. Elle semblait perdre le contrôle tout en le gardant totalement. Chaque pas qu’elle engageait était un enjeu de plus. Un enjeu de tempo, de posture, de regard, de synchronisation…  Ses bras entouraient, tenaient, relâchaient, rattrapaient le corps de son partenaire attentif et fier. Leur évolution paraissait si fluide et en même temps, sur le fil… J’aimais tant la regarder… Je ne voyais qu’elle. Le reste autour finissait toujours par disparaitre. Je m’imprégnais de chacun de ses gestes et du rythme de sa respiration rapide. Je détaillais ses muscles, ses mains gracieuses, ses froufrous dans les airs… Je la regardais tellement que j’avais la sensation de la boire, de la manger toute entière. Je me sentais rempli d’elle…

Il inspira largement comme pour réguler de nouveau sa respiration devenue trop courte :

– Aujourd’hui, je continue de la regarder. Pour que son visage et ses cheveux tirés restent intacts dans ma mémoire. Pour que son corps, laisse sa trace dans mes bras, pour toujours.

Sans elle…  je suis perdu. Je n’existe pas.

Estelle et l’homme restèrent dans le silence ; autour Paris s’agitait. Les voitures, les piétons pressés, le balai des uns avec les autres persistait péniblement. La lumière claire de ce matin de fin de semaine paraissait infinie et hors du temps.

Ce récit avait bouleversé Estelle. A présent, elle ressentait une profonde admiration pour ce couple sacrifié mais aussi beaucoup de peine pour cet homme laissé seul. Elle commençait à se sentir coupable d’avoir ravivé tant de tristesse à cet inconnu. Elle balbutia :

– Monsieur, je suis désolée si je vous ai replongé dans votre tristesse… Ce n’était pas mon intention… Pardon.

Il fixait un point au loin. Comme s’il s’était échappé avec Sonia Vong au-dessus des rues trop animées. Son âme semblait avoir abandonné son corps. Où était-il à présent ? A quoi pouvait-il bien songer ?

Ensuite, il sourit en la regardant comme lassé et se retourna. Sans un mot, il gagna le passage piéton et s’éloigna le long du boulevard. Il disparut dans la foule laissant Estelle immobile et muette, les yeux mouillés, un air de Tango dans la tête…

 

Estelle s’arrêta. L’émotion se réactivait sous l’effet des mots. Le silence devint nécessaire. Elle ne chercha pas à croiser le regard de Lina, qui d’ailleurs scrutait sans la voir la grande roue de la Place de la Concorde.

Elles erraient dans leurs pensées respectives ; chacune avec leur sensibilité, leur histoire, leurs croyances et leurs projections. Il restait tellement de questions à propos de Sonia Vong et de l’homme camel…

Alors sans se le dire, elles se levèrent et partirent marcher le long des allées… Le jardin des Tuileries si familier, paraissait nouveau tout à coup.

 

La Milonguita (Format PDF)


Mots & Lumières

Deux sœurs passionnées : l’une de photographie, l’autre d’écriture.

Une collaboration sur 12 mois, initiée mensuellement, à tour de rôle. Florence propose une photographie à Dominique qui écrit une nouvelle. Le mois suivant, Dominique propose une nouvelle à Florence qui l’illustre avec une photographie.

L’alliance de l’image et des mots, une expérience unique de créativité entre sœurs.

Écriture : Dominique Meunier – Bien-êtrologie
Photographie : Florence Meunier-Faure – Two tabbies in Paris

1 Comments

  1. Bernard Meunier

    Bravo pour cette nouvelle! J’ai tout simplement été fasciné par ce récit si émouvant, si bien écrit et si captivant. J’attends la prochaine avec impatience.

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